64 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
la maison enrichi d'un charme pour son travail du soir et pour ses rêves.
Comme il ignorait le nom de son amie, il l'appelait Crépuscule. Si parfois son père ou le beau parleur de ses oncles emplo)'aient ce mot, il souriait tout à coup d'une manière lointaine et ravie. Il le marquait d'un trait et d'une petite croix dans ses livres : et lorsqu'il le lisait en apprenant une leçon, il succombait au même sourire. Sa sœur seule, Marceline, s'en était avisée. Elle n'en disait rien, mais elle s'attristait un peu lorsqu'elle y pensait, parce qu'elle était laide.
La grâce de Crépuscule opéra deux miracles pour Victor.
Il avait eu un camarade : Frédéric Cantin, son voisin, dont le père était métreur comme le sien. Circonstance qui rapprocha les deux gamins : ils causèrent des mêmes affaires et se réjouirent des mêmes vanités. Ils voulaient fraterniser par l'échange du sang, comme font les sau- vages, lorsqu'une enseigne de sage-femme les brouilla à mort. Cantin s'en servit en effet pour initier Victor au mys- tère de la naissance des hommes. Offensé profondément, Victor refusa de rien croire et se jeta à coups de poing sur le révélateur.
Puis tous deux firent un faux rapport de leur querelle : leurs pères cessèrent de se saluer, leurs mères de se voir, eux continuèrent de se battre à toute occasion.
Victor plus solide, Frédéric plus rusé, vigoureux et ma- lins tous les deux, ils exerçaient leurs muscles et leurs bâtons dans un terrain vague encombré de plâtras et de gadoue qui, en cette extrémité mal bâtie de la ville (une de ces villes de banlieue où Paris dépose une écume de petits rentiers, d'ouvriers et de gueux pêle-mêle avec les eaux d'épandage), faisait justement horizon aux fenêtres de roses et aux volubilis où, plus tard, devait sourire Cré- puscule. Ils ne s'arrêtaient pas toujours au premier sang. Le vaincu se vengeait : ainsi Victor détraqua la sonnette de
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