LE SECRET DU POLICHINELLE 77
ennemis. Il était au bout de la table : l'oncle Marquis à sa gauche et Marceline à sa droite : dédain, tendresse qui lui donnaient un peu le vertige. Devant lui, presque loin, assise entre Tonde Saintour et la tante Mariette, Lucienne sou- riait très sage. Au milieu, vis-à-vis, régnaient son père à la barbe chenue et sa mère aussi majestueuse que les statues qui figurent les villes couronnées de tours. Trois lampes électriques, pareilles à des fruits dans un feuillage de verre argenté, caressaient d'une lumière mi-grise mi-bleue la. porcelaine, l'éclat des couverts, les mains blanches des femmes et les mains jaunes des hommes.
Sur une desserte, plusieurs paquets contenaient, Victor le devina, les cadeaux qu'on lui ferait à la fin du repas, quelques livres sans doute aussi gonflés de mensonge que les discours de ses oncles.
Il soupira. Une étoile parut sur le jardin, juste entre les deux mansardes où s'était voilé, tout au long du soir, un soleil qui n'avait pas voulu luire ; une grnnde étoile qui se rétrécissait et se dilatait, ainsi qu'une luciole, seconde à seconde. Et Victor, pour que sa lumière le soulagecât, la contemplait à chaque élancement de sa douleur.
Le chagrin se tenait en lui comme un être vivant, comme un ennemi intérieur qui l'eût pris ci la gorge et se fût appuyé sur son cœur. Cantin, Victor aurait pu le frapper; Crépuscule, il aurait pu la fuir derrière des larmes ; mais il ne pouvait rien contre leur souvenir qui l'étranglait.
Tandis que madame Saintour, calme et blanche, pres- sait une poire électrique qui pendait à portée de sa main, son mari se mit debout, élevant un verre de rubis trem- blant à la hauteur de son œil.
— Buvons au héros de la fête ! déclama-t-il. Buvons à ce petit garçon qui sera l'année prochaine un jeune homme ! Il se fit un tumulte joyeux. Chacun se dressa, chacun s'exclama fort pour ne penser- à rien, chacun tendit son verre, et tous le choquèrent avec des rires contre celui de Victor.
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