LE SECKET DU POLICHINELLE 79
pour la remercier de son silence : elle les avait détournés, il ne vit que ses gros traits tristes. Il tâcha de sourire à Lucienne : et tout à coup il se rappela le péché originel, il se figura ce doux visage et cette souillure sans nom... Avec sa fourchette, il se griffa le genou jusqu'au sang, pour ne pas crier.
Autour de lui, chacun s'étant engagé par sa première phrase, ils la continuaient tous ou la répétaient. Nul ne cher- chait à comprendre Victor. D'ailleurs, ils avaient beau s'attendre avec politesse, accrocher soigneusement leur réplique au dernier mot de la précédente, ils ne cherchaient pas non plus à se comprendre les uns les autres.
— Toute la journée, dit M. Saintour, nous travaillons. Et pour qui ? N'importe quel travail est ennuyeux ... Quelle consolation nous restera-t-il, si le soir nos enfants nous font mauvais visage ?
Cette pensée parut forte. On l'approuva.
— D'ailleurs, dit madame Saintour avec douceur, Victor est assez raisonnable à présent pour savoir que sans anlabi- lité on ne peut pas plaire aux autres.
L'oncle Saintour s'empara de cette affirmation qu'il trou- vait un peu trop mondaine. Le cercle des paroles, des gestes et des rires quitta Victor et se transporta autour de cet homme extraordinaire qui, récapitulant ses thèses au rôti, se trouva de l'avis de chacun en partie et seul du sien en tout.
Victor n'en pouvait plus. Un instant encore, croyait-il, il eût éclaté en injures basses et désolées. Gauche, tordu, souffrant comme si son buste avait subitement tourné sur ses hanches, il contempla le jardin. La nuit se creusait entre les arbres, les étoiles étaient devenues innombrables. Le silence recueillait les bruits comme une vasque. Une fraîcheur embaumée flattait les visages rougis qui s'épa- nouissaient. Ces bonnes gens, qui la sentirent, se louèrent de la nature entre cinq ou six plaisanteries où ils raillaient la jeunesse.
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