Page:NRF 18.djvu/318

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

312 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

leurs enfants une semaine, une demi-semaine ; mais leur souvenir s'enrichissait après leur départ. Eugénie organi- sait leur légende moqueuse. Un cousin confondait la herse avec la charrue ; une cousine voulait accompagner le vieil- lard partout, et la garde-malade la renvoyait par des farces admirablement combinées ; une tante parlait d'hôpital, de secours, de conseil de famille, de pudeur, et n'v pensait jamais deux fois.

Tout cela, dans la mémoire et l'imagination attentives de la petite fille, faisait une agitation aussitôt commu- niquée au grand-père. Ainsi ces abandonnés plongeaient encore un peu, juste assez pour ne pas mourir, dans l'eau sociale.

��IV

��Le vieillard prit un mauvais rhume, ne se leva plus et, le troisième jour, entra en agonie.

C'était juillet : la moisson dévastait les fermes et préci- pitait jusqu'au délire la vie. Au moment où débuta le râle, Eugénie se trouvait seule et savait qu'elle serait seule tout le soir. Cette idée l'afiola d'abord : elle courut à la porte, bouscula la claire-voie et, se hâtant sur le chemin, cria :

— Au secours !

Le chemin, les champs de regain, d'éteules et de meu- les s'étendaient vides jusqu'aux peupliers ; les machines travaillaient derrière les bois, hors de la vue.

L'enfant buta contre une pierre, faillit tomber, se mit à pleurer. Le râle du grand-père la rappela dans la maison.

Elle resta debout auprès du lit, ne sachant que taire. Le mourant, étendu de son long sur le dos, pilait sous lui les oreillers : il semblait un peu moins courbé. Ses yeux écur- quillés ne voyaient rien. La pomme d'Adam montait et descendait dans son cou. Et de ses lèvres mi-ouvertes sor-

�� �