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NOTES '353

Quelque enfant, ou étranger, parle de « cuillère à trous », de « couvercle pour tête ». Quelle fantaisie, dit-on. C'est qu'ils ne con- naissaient pas fourchette ou chapeau, ou bien ces mots leur avaient échappé. Ils ne cherchent qu'à serrer l'objet du plus près et à se faire entendre.

A la conce'pxion physique du langage, Jean Paulhan substitue une conception chimique. Ces unions, ces échanges entre les pensées et les mots, que l'on croyait passagers, fugitifs, sans conséquence, incapables d'apporter un changement soit dans la nature de la pensée, soit dans celle des mots, nous sont révélés comme des phénomènes chimiques, stables, définitifs, donnant naissance à des corps composés, qui, une fois composés, agissent avec leurs qualités propres, provoquant des modi- fications imprévues dans leur entourage immédiat de pensées et de mots.

Cette bataille incessante de la pensée (ou du sentiment) et des mots (ou des images), avec ses alternatives et ses rebondis- sements, c'est évidemment le tissu même de notre existence morale. En donner la notion, en taire revivre toutes les péri- péties, ce serait donner naissance à l'art le plus réaliste qui ait jamais existé.

C'est celui que souhaite Jean Paulhan. L'instinct qui a poussé le dadaïsme à renoncer au jeu normal de recouvrir chaque pensée du mot correspondant en laissant libre carrière aux paroles pour traduire l'inconscient est chez Paulhan volonté réfléchie, née de ses études de psychologie et de linguistique. Notons qu'un réalisme de cette sorte qui nous introduit dans le plus secret laboratoire intérieur, pourvu d'autant de cou- loirs qu'il y a de circonvolutions dans notre cerveau, entraîne à de longs romans cycliques dont l'œuvre de Marcel Proust nous offre un exemple.

Si Jean Paulhan ne nous a donné jusqu'ici que de courts récits, c'est qu'il vise surtout à nous fournir des données élé- mentaires, propres à illustrer ses théories. Le Pont Traversé c'est, après la Guérison Sévère et Aytré qui perd l'habitude, une troisième façon d'étudier, dans un cas psychologique simple, les rapports de la pensée et du langage et le jeu de l'incons- cient.

Pourquoi le héros de la Guérison Sévère ne parvenait-il pas à

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