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Page:NRF 18.djvu/429

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sa pipe dans un cendrier, annonce habituelle du départ.

— Tes petits vont remonter de la plage, dit-il en se levant, et il est temps que je rentre à mon hôtel.

Il prend la tête de Clymène entre ses robustes mains et poursuit avec un tendre regard :

— Pour te récompenser (et ce mot supplée à tout ce qu’il n’a pas dit), je veux t’amener un de mes anciens lieutenants, Vernois, que j’ai eu la surprise de rencontrer hier sur la digue. Il a connu ton mari au Chemin des Dames.

Aussitôt elle s’affole :

— J’ai déjà vu trois de ses camarades. Aucun d’eux n’a su me dire la moindre chose. Ils paraissaient tellement gênés ; et moi j’étais honteuse de leur arracher de si pauvres phrases.

— Celui-là est intelligent ; il passait seulement pour un peu bizarre.

— C’est justement ce qu’il y a de plus intimidant. Si encore il était tout simple !

— Comme tu voudras.

Elle l’accompagne jusqu’au perron. Il s’arrête sur la dernière marche et regarde le couchant, de sorte qu’elle aperçoit le gris de la mer des deux côtés de ses épaules. Elle murmure :

— J’ai une amie dont le mari a disparu dans un naufrage. Voilà longtemps de cela, mais elle n’a jamais pu regarder la mer sans horreur.

Il tourne vers elle ses yeux clairs, si experts à jauger une âme forte :

— Tandis que tu continues à me regarder (c’est bien cela que tu veux dire ?) avec un visage sans effroi ni haine… avec un pauvre visage tout ému et tout blanc…

Elle se contente de lui tendre une joue qu’il embrasse.