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PREMIÈRE JOURNÉE A RUFISQUE 5 53

nerie et de constituer ainsi, le long des rues, un abri per- pétuel contre le soleil ou les tornades.

Le sirocco faisait clapoter ces tentes avec un bruit marin, et les bureaux ouvraient, sous leur protection, tout ce qu'ils pouvaient ouvrir de portes et de fenêtres. Dans la demi-obscurité où luisaient le chêne verni et le cuivre bien fourbi, j'apercevais des silhouettes en bras de chemise ; au fur et à mesure que nous passions, elles tournaient vers nous, avec une lenteur exténuée, des faces blanchâtres et transpirantes, privées de toute espèce de curiosité sensible ; j'emportais avec moi et j'additionnais une à une ces images de souffrance et d'abattement. Mais aussitôt sortis de la protection d'un de ces tunnels, nous nous retrouvions plongés dans la circulation démoniaque des wagonnets.

Pleins ou vides, ils se suivent et se croisent en files aussi continues que les tramways de Broadway sur les photogra- phies de New- York. Ils se réduisent d'ailleurs à de simples plates-formes ; on les charge aussi haut que l'on peut ; le centre de gravité s'en trouve surélevé au-delà de tout ce qui est raisonnable ; cela communique à l'édifice un branle grotesque et inquiétant dont leurs conducteurs paraissent se réjouir infiniment.

Ces montagnes de sacs blonds accouraient donc les unes derrière les autres en jappant successivement des deux essieux sur chacun des joints de la voie, et en émettant ce bourdonnement continu, tout spécial à la vibration de l'acier dans le ciment.

Derrière chacune d'elles trottaient deux grands beaux diables ; la lumière brûlante les enveloppait sans rémission ; le vent qui s'enfilait dans la rue leur plaquait au corps leurs haillons disparates ; la plupart avaient la tête, les bras, une épaule ou une partie du torse nus ; on les voyait arriver la figure levée, la bouche ouverte, les yeux dilatés, riant, criant, courant, s'appelant, et ayant bien plutôt l'air de jouer au train que d'accomplir un travail salarié.

Leur idéal était, sans aucun doute, de rejoindre le

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