Page:NRF 18.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

554 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

wagonnet précédent et de le tamponner le plus bruyam- ment possible. Le passage des bifurcations, où les joints sont plus ou moins mal ajustés, constituait aussi des incidents fort divertissajnts, car un a chemin de: fer » n'est pas complet s'il est vendu sans un système perfectionné d'^accidents ; aussi pour franchir les croisements, lançaient- ils leurs wagonnets n toute vitesse ; l'aventure pouvait tourner bien ; il pouvait se faire aussi que les roues d'avaM prissent appui sur les extrémités d'un rail comme sur un providentiel tremplin d'acier; la plate-forme en profitait sans retard poiar essayer d'un petit saut en. hauteur ; mais les cinq ou six cents kilos d'arachides qui lui pesaient sur les reins calmaient aussitôt cette belle ambition ; en un clin d'œil tout retombait, dérailkit et basculait. Eclats de rire et glapissements de redoubler ; les wagonnets sui- vants accouraient, environnés de vociférations, dans le louable dessein de caramboler la victime de cette catas- trophe ; que d'aventure un convoi se présentât à ce moment par la voie transversale, et la distraction était portée à son comble. Cela durait ainsi jusqu'à ce qu'inter- vînt, à grand fracas de gosier, un contremaître indigène^ qu'éperonnait l'apparition, au bout de la rue, d'un commis européen de la maison. Alors on se mettait à dix, à vingt ; c'était occasion aux belles muscnliatures de luire et de jouer, occasion aussi aux langues de marcher ; les wagonnets étaient remis sur rail, rechargés de leurs sacs, et les- bruis- santes files de petits tramwa3^s reprenaient leur course vers la mer ou vers les entrepôts.

Et déjà je commençais à me dire : «/g vois bien de quel côté est la force, d^ quel côté est la richesse ; mais est-ce qN^i je ne vois pas aussi clairement de quel côté est la liberté, de quel côté la joie ? »

Cependant, sur les trottoirs, circulait gra^-eraent un troisième aspect de la question ; il était figuré par de majes- tueux personnages de race blanche dont le ventre bedon- nait sous le burnous ;• ils avaient le fez sur la tête, la

�� �