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— Hélas, oui, nous sommes orgueilleux…

Il sent qu’il ne faudra pas grands coups de cravache pour que, l’un et l’autre, ils reprennent le dessus.

— Je réunis parfois mes apprentis, le dimanche soir, et je leur fais une lecture. Eh ! bien, l’autre jour, pour mieux imaginer votre présence, j’ai voulu voir l’action qu’aurait sur eux… vous devinez quoi… une de vos tragédies…

Elle l’interrompt avec un premier retour de crânerie :

— Comme vous deviez la lire à contre-sens ! Car malgré tout, mon pauvre ami, vous êtes un peu trop raisonnable.

— Si je l’étais vraiment, je prendrais ma part de butin, sans m’occuper d’autre chose. Je permettrais qu’on rie de ce champion de l’amitié, qui pour mieux servir les intérêts d’un camarade l’a supplanté à son foyer. Tant pis si mon exemple servait à prouver que tout homme peut être réduit par l’amour comme tout peut s’acheter pour de l’argent. Et si l’on s’étonne que cette veuve assez jalouse de son chagrin…

Il savait qu’elle répondrait bien au défi.

— Je n’ai pas encore besoin, dit-elle, que vous me défendiez.

— Si l’on s’étonne qu’elle se soit consolée par un bonheur sans beaucoup de gloire…

Elle lui coupe la parole :

— Décidément vous avez l’imagination pathétique. Je crois que vous vous êtes un peu vite alarmé.

L’ironie les rafraîchit comme de l’eau sur le visage.

— Les scrupules excessifs sont dans les règles du jeu, chère amie ; on ne saurait être trop pointilleux. Quand vous verrez le général, dites-lui que je suis venu vous faire mes adieux ; mais pour que sa joie ne soit pas trop humiliante, ajoutez que nous nous sommes séparés en plaisantant.

— Vos adieux ? s’écrie-t-elle.

— Pour aujourd’hui nous aurions de la peine à nous