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NOTES 637

fort périlleuse. Car il y fallait redécouvrir cet univers et le re-connaître avec — et malgré — cette immobilité de bûche taillée, ce cerveau embryonnaire d'anthropophage et cette igno- rance de nouveau-né que l'auteur a su conserver à son fétiche. C'est, au ralenti et par images simples, adroitement rappro- chées, complétées et surchargées, la suggestion d'un monde que nous ne connaissons déjà que vaguement et où nous péné- trons ainsi, avec les yeux, le nez et les oreilles d'un bout de pieu à peine promu à l'animalité. Ainsi un boutiquier de Lon- dres découvrait la vie martienne par petites surfaces, petits fragments dépareillés, en se cassant le cou d'une certaine façon, à une certaine heure, sous une certaine lumière, au-dessus de son merveilleux œuf de cristal. C'est, au vrai, assez fatigant et l'on est étonné de la force, de la patience de l'écrivain que ce jeu, loin de rebuter, a conduit aux minuties les plus scrupu- leuses. Son talent de l'image primitive permettait seul de sou- tenir aussi longtemps cette exploration à petits pas. Rien n'est suggestif comme B-B-B jetant devant lui les cercles de ses yeux. Ainsi il accroche et cerne précisément chaque objet — de bleu, de jaune et de rouge — et le conduit en couleur et en forme à son cerveau obstiné. Et ainsi du reste. Mais le vocabulaire réduit dont il dispose pour ses conversations avec les animaux qui seuls l'entendent et lui répondent (magie du règne infé- rieur) limite par influence les ressources du conteur. Certes, la connaissance et le jugement de B-B-B sont curieux à découvrir, mais d'autres choses qui lui échappent partiellement ou tout à fait nous attireraient volontiers plus au large. La réceptivité de ce fétiche, tout extraordinaire qu'on nous la livre, nous devient vite un loup étroit, aux yeux mal en place, sous lequel nous étouffons. L'envie vient souvent, le désir prend de n'être qu'un sorcier ou qu'un simple nègre même, plutôt que ce « maître de l'univers » toujours immobile que tant de choses simples étonnent encore ou ne touchent même pas du tout. Sortir de cette branche<aillée et polie serait bon ; tourner la tête, seule- ment, ou la lever serait reposant. Mais sans doute est-ce là le vrai dessein de Franz Hellens. Après la fantaisie et l'ubiquité dont il nous a grisés dans Mélusiue, a-t-il voulu nous ankyloser dans ce Quasimodo noir pour nous révéler le tourment des pierres qui vivent elles aussi comme le prétendait Mouata-

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