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^3$ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Yamvo ? Mais ce n'est point ce tourment-ci qui abolira cette griserie-là. rené-marie hermant

LETTRES ÉTRANGÈRES

LE DÉJEUNER CHEZ LE MARÉCHAL DE LA NOBLESSE ; UN MOIS A LA CAMPAGNE, par Ivan Tourgueniev, traduction de Denis Roche (Bossard) .

La confusion que nous ressentons à l'égard de Tchékhov pour avoir si longtemps méconnu son oeuvre, ne nous porte- t-elle pas, par une réaction naturelle, à surfaire un peu son théâtre — du moins à lui attribuer le mérite exclusif de qualités qu'il n'est pas seul à posséder dans son pays ? Rien de curieux à cet égard comme les deux pièces de Tourgueniev que vient de traduire M. Denis Roche, surtout la seconde, Un Mois à la Campagne. Une voix autorisée déclarait : « Le théâtre de Tour- gueniev nous a aidés à comprendre le théâtre de Tchékhov, de même que, par une lumière rétrospective, le théâtre de Tché- khov nous a fait comprendre celui de Tourgueniev. »

On trouve déjà dans Un Mois à la Campagne, écrit en 1850, cette stagnation de la province russe, cette impression d'ennui dont plus tard Tchékhov saura tirer un effet si saisissant. Même atmosphère, même pesée du destin ; et, chez l'auteur, même discrétion dans la conduite de l'action, mais avec un dessin plus serré des caractères, une sorte de clarté française qui met dans toute l'œuvre plus de lignes et d'articulations. La pièce est construite autour d'un grand rôle féminin, celui d'une honnête femme qui s'ennuie entre son mari qu'elle estime et un voisin qu'elle n'aime pas assez pour commettre une folie, quand elle s'éprend soudain d'un jeune précepteur. La naissance de cette passion, le passage du sentiment confus à la conscience, le trouble jeté dans l'immobile existence de ces barines, tout cela est décrit minutieusement, amplement, sans hâte. Il y a quelque chose de racinien dans la délicatesse de l'analyse, dans les procédés par lesquels sont amenés les revirements, dans la lutte de l'instinct et de la pudeur et jusque dans les monologues maladroitement taillés sur le modèle de ceux de Phèdre. La pièce est mieux que curieuse, elle est émouvante et, malgré quelques fâcheux artifices qui datent,

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