386 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
plus affairé des hommes. On ne pouvait lui mettre la main dessus qu'à la campagne, mais de Longval à Mauvent la promenade compte. Quant à attendre qu'il se dérangeât, lui qui pourtant possédait un " omnibus ", il n'y fallait pas songer. Victime d'une part de la difficulté que l'on éprouve à se mettre en branle dans les maisons nom- breuses, il se trouvait d'autre part retenu par les travaux personnels auxquels il consacrait ses vacances. Un savant comme lui n'abandonne pas ainsi ses expériences et les découvertes qu'il est sans cesse à la veille de réaliser. Pour ce qui est de ma tante Isabelle, véritable mère-gigogne, elle était toujours, ou grosse, ou bien en couches, ou bien nourrice : le reste du temps institutrice ou garde-malade. Avec douze enfants, elle avait largement de quoi s'occuper et se suffire.
Et puis, de maman à ma tante, les atomes crochus ne mordaient point. Il n'y avait pas inimitié entre elles, mais absence d'attraction. Un abîme les séparait, l'une femme de tête, ordonnée et soigneuse jusqu'à la manie, l'autre veule et négligente au-delà de toute expression. Le spec- tacle de l'incurie qui régnait chez sa belle-soeur faisait souffrir maman d'une façon presque physique.
En ce qui me concerne, je ne pensais pas à me plaindre de la rareté de mes relations avec mes cousins. Pour excel- lents garçons qu'il fussent, ils étaient faits d'une autre pâte que moi. De l'aîné qui sortait de Centrale à celui des cadets en âge de porter culotte, ils avaient comme leur père la fureur des expériences. Hirsutes, les mains sales, les vêtements déchirés, tachés, brûlés par les acides, il s'adonnaient, livrés à eux-mêmes, à des jeux peut-être instructifs, mais assurément dangereux. Avec leurs piles
�� �