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Page:NRF 1909 11.djvu/51

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UNE BELLE VUE 387

leurs cornues, leurs fîls électriques, leurs mélanges déto- nants, ils me déconcertaient et m'inspiraient une médiocre confiance. Je m'accommodais cent fois mieux des plaisirs brutaux de Prosper, lesquels du moins étaient proches de la nature. Aussi mes cousins me considéraient-ils un peu avec cette pitié que les ingénieurs nourrissent à l'égard des poètes.

De quinze ans plus âgé que mon père, mon oncle Hippolyte inspirait à ce dernier une admiration et une vénération quasi-religieuses. Il n'y avait à ses yeux per- sonne de saint, de sage, de savant comme lui. Lorsqu'il avait dit : " Mon frère Hippolyte ", il ne restait qu'à tirer l'échelle. Cela allait de sa part jusqu'à l'humilité la plus absolue, et bien lui en prenait. Mon oncle s'autorisait de ses vertus et de son savoir pour trancher en dernier ressort de tout ce qui regardait la morale et la connaissance de la vérité. Il ne s'en laissait point remontrer. Après des années, je frémissais encore au souvenir d'une colère qu'il avait eue pendant un dîner à la maison. Rouge comme brique dans sa barbe blanche, il s'était écrié, en faisant du plat de la main trembler le couvert :

— Avec des raisonnements pareils, il n'y aurait plus ni religion, ni famille, ni société !

Et mon père, auteur — qui l'eût cru ? — - de raisonne- ments subversifs, n'avait pas demandé son reste et, tout honteux, était rentré dans sa coquille. (Je soupçonne forte- ment que cette scène se rapportait à "l'affaire Tourneur", laquelle battait alors son plein.)

Etant donnée l'idée fixe qui hantait le cerveau de mon père, il n'était pas malin de deviner à quel propos celui-ci avait absolument besoin de consulter son grand oracle. S'il

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