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notes 537

a publié voici quelques années de l'Egoïste : oui, il eut le courage d'avaler jusqu'au bout cette indigeste nourriture. La bonne traduction qu'on lui offre aujourd'hui des Comédiens tragiques, sous le titre de Tragi-comédie d'amour, précise enfin cette révélation qu'il pressentait dans l'Egoïste. Quel art hostile et admirablement supérieur !

C'est une histoire prodigieuse que celle de Ferdinand Las- salle, l'illustre agitateur socialiste, et de M lle von Dônniges. Ils s'aiment ; pour le suivre elle quitte ses parents. Mais lui, la rend à sa famille; car son orgueil plus fort que son amour exige qu'on lui donne celle qu'il aime. On sait la fin: comment libre de proclamer son choix, la jeune fille refuse sa main à Lassalle ; comment celui-ci indigné, insulte le père; comment un jeune Roumain, ami d'Hélène, relève le défi et tue Lassalle en duel ; comment M Ue von Dônniges épouse Racovitza, le meurtrier... Faits précis, indiscutables, faits d'histoire. " Tous les détails du drame, correspondance, télégrammes, démarches, jour par jour et heure par heure, ont été publiés. (Bernard Becker : Enthiillungen iiber dastragische Lebensende Ferdinand Lassalle s). Le rôle de la comtesse de Hatzfeld, une vieille amie de Las- salle, de même a été éclairci. Enfin l'héroïne en personne, devenue M œe de Racovitza, a publié en 1879 l'histoire de ses relations avec Lassalle. Et l'on peut supposer que tous ces éléments, George Meredith les avait à sa disposition et qu'il n'a pas manqué de s'en servir. N'affirme-t-il pas dans sa préface " qu'il n'y a rien ajouté ?... " Mais alors ?...

Alors — autant du moins qu'on peut juger un grand écrivain sur un seul de ses livres, Meredith nous apparaît d'après les Comédiens tragiques, comme précisément le contraire d'un créateur. Il dédaigne l'invention. Des faits établis lui suffisent. Il ne s'avise même pas de rétablir tels faits probables qui lui sont inconnus. Les faits et les personnages sont là et son intel- ligence s'en empare. Ils sont un alimenta sa faim intellectuelle, un prétexte à mettre en mouvement l'appareil délicat, com- plexe et, il faut le dire, parfait de ses facultés déductives. Sous les gestes, sous les paroles il construit à ses personnages un admirable mécanisme. Cela seul l'intéresse, le mécanisme

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