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546 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

d'autres siècles, des esprits différents étouffèrent du manque de liberté.

La plus précieuse constatation que nous vaut son livre, c'est à la mentalité des enfants de ce temps qu'elle se rapporte, et sur la résignation sociale de cette génération qui monte, il y aurait trop à dire. Mais d'autres traits requièrent notre attention : car chaque page de ce livre retient, émeut comme une plainte.

A chaque instant l'écrivain se désole ou s'indigne des mots qu'emploient les enfants, de la forme maladroite que prend leur incertaine, timide, flottante pensée, — et qui veut pourtant se dire, le veut avec quelle force, puisqu'ils bravent même la punition infligée à qui interroge le maître sans permis- sion... Ils s'intéressent, voudraient énoncer leurs idées rudi- mentaires et inachevées ; mais ils ne peuvent parler qu'avec ces bribes littéraires qui les encombrent. Hors leur argot d'écoliers, ils ne connaissent pas d'autre langage.

La pensée apparaît longtemps avant la faculté de l'exprimer. Mais il existe des expressions toutes faites de pensées sembla- bles, et là est le danger : on les croit identiques. On les emploie, espérant traduire un sentiment propre, les nuances qu'on y met restent imperceptibles pour autrui, on est ramené par les mots à une forme générale, collective désormais de sentiment ou de pensée, alors qu'on avait peut-être une façon unique, mais intraduisible, d'éprouver. Les mots ont fait le mal. Et la conviction maintenant remonte du mot qui reste fixe à la pensée qui se ploie, se déforme, se modèle à lui. Si les hommes se ressemblent si désespérément, c'est qu'ils s'em- pruntent les uns aux autres les formules qui doivent exprimer leurs différences...

" Voici soixante enfants, dont il n'est pas deux qui aient même visage, ni deux, dès qu'ils pensent, la même pensée. Cependant, pour communiquer avec moi et les uns avec les autres, ils ne possèdent que les mêmes paroles. Je conclus que leurs paroles mentiront à leur visage et à leur pensée. " Si ce malentendu était dissipé, on serait étonné de s'apercevoir que les enfants ont une âme. Or l'auteur, (page 169), en doute encore.

Avec cette '" petite culture " dont l'auteur prend son parti

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