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Page:NRF 1909 12.djvu/54

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476 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

âge reprendre le dessus. J'avais devant moi toute une année scolaire ; le terme m'en paraissait lointain comme le bout du monde, car les yeux de l'enfant ne savent pas porter dans l'avenir.

En décembre, mon père alla passer une matinée à Longval. Il s'y rendait de temps à autre pour donner des instructions à ses gens. Comme il s'était fort attardé, nous l'attendions dans la salle à manger avec cette inquiétude que motive tout retard d'une personne dont l'exactitude est une des vertus. Il arriva enfin, et sans la moindre préparation jeta d'emblée en se mettant à table :

— Cette fois, ça y est !

Puis, d'une main qui dansait, il s'occupa de la cuisine médicinale, cachets à délayer, drogues à verser au compte- goutte, qui précédait tous ses repas. Il était blafard. Pour quelqu'un qui venait d'agir dans la plénitude de son droit, il avait plutôt l'air d'avoir commis quelque méfait.

Nous autres, Marguerite elle-même, nous baissions le nez sur nos assiettes. Nous n'avions pas eu besoin d'éclaircissement pour savoir ce dont il retournait. On n'entendit guère pendant le repas que des bruits de vais- selle. Les morceaux me restaient en travers du gosier.

Donc les arbres étaient plantés ! A partir d'aujourd'hui Prosper ne pouvait plus être mon ami. S'il pensait encore à moi avec sympathie dans le lycée où il se trouvait claustré, ce n'était que par ignorance. La nouvelle de l'événement ne tarderait pas à lui parvenir. On m'eût annoncé sa mort je n'eusse pas souffert davantage. Il m'eût été peut-être moins dur de le savoir mort pour tous que pour moi seul.

Tragédies qui se jouent silencieusement au fond des

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