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LA PORTE ETROITE 1 95

Que puis-je peindre ici, que l'occasion de la détresse à la- quelle je cédai dès lors tout entier r Car si je ne trouve aujourd'hui nul pardon en moi pour moi-même de n'avoir su sentir, sous le revêtement de la plus factice apparence, palpiter encore l'amour, je ne pus voir que cette apparence,

d'abord, et ne retrouvant plus mon amie, l'accusai

Non, je ne vous accusai même pas, Alissa ! mais pleurai désespérément de ne plus vous reconnaître. A présent que je mesure la force même de votre amour à la ruse de son silence et à sa cruelle industrie, dois-je vous aimer d'autant plus que vous m'aurez plus atrocement désolé ?...

Dédain ? Froideur ? Non ; rien qui se pût vaincre ; rien contre quoi je pusse même lutter ; et parfois j'hésitais, doutais si je n'inventais pas ma misère, tant la cause en restait subtile et tant se montrait habile Alissa à feindre de ne la comprendre pas. De quoi donc me fussé-je plaint r Son accueil fut plus souriant que jamais; jamais elle ne s'était montrée plus empressée, plus prévenante ; le premier jour je m'y laissai presque tromper... Qu'importait après tout qu'une nouvelle façon de coiffure, plate et tirée, dur- cît les traits de son visage, comme pour en fausser l'ex- pression ; qu'un malséant corsage, de couleur morne, d'étoffe laide au toucher, gauchît le rythme délicat de son corps... ce n'était rien à quoi elle ne pût porter remède, et dès le lendemain, pensai-je aveuglément, d'elle-même ou sur ma requête... Je m'affectai davantage de ces pré- venances, de cet empressement, si peu coutumiers entre nous, et où je craignais de voir plus de résolution que d'élan, et j'ose à peine dire : plus de politesse que d'amour.

Le soir, entrant dans le salon, je m'étonnai de ne plus retrouver le piano à sa place accoutumée ; à mon excla- mation désappointée :

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