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148 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Et il pivota brusquement comme un mannequin. — Je fais un demi-tour — dit-il. — En face de moi, le Nord.

Du doigt, il leur désigna sur l'horizon, dans les soubre- sauts de la lueur et à travers l'écroulement des cendres, une masse dense, comme une porte de fer, un pan de rempart encore debout, un môle, une falaise.

— C'est la direction du Nord — leur dit-il.

Ils l'écoutaient tous en silence, immobiles et comme pétrifiés. Leurs têtes mécaniques avaient obéi à son bras. Tous les yeux d'abord s'étaient tournés vers le soleil, le blessé rouge parmi les linges et les charpies du brouillard; et une taie de sang, une sorte de cataracte, soudain les avait envahis. Entre les paupières tremblotantes, les prunelles vacillaient. Pareils à des aveugles maintenant, ils cherchaient tous quelque chose, avec avidité, dans le prolongement de ce doigt.

Comme l'œil du bouvier hésite sur les têtes du bétail, le regard de Voiriou les parcourut en hésitant, et il s'arrêta sur la face de Chtiot Jules, la plus extraordinaire de ces figures de cire. Un jour de moisissure la baignait, et les stigmates des joues, comme deux fosses, qui amassaient l'ombre pour la distribuer aux rides,paraissaient s'être encore approfondis. Mais les yeux dominaient, vieux et enfantins, doux et laiteux comme un paysage lunaire, vastes et déconcertants, et pleins d'énigmes. Le faucon guettait la perdrix : au-dessus de la tête de Cauët, veillait le ricane- ment silencieux de Gerfaut.

— Cauët sortez ! — ordonna Voiriou. — Prenez la position du soldat dans l'orientation. Je suppose que le soleil passe au méridien, c'est-à-dire qu'il est midi. En

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