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suivre un progrès du talent. Pour dire des choses nouvelles, Philippe n’avait pas à changer son style, toujours excellent quand il va droit au but, mais plutôt à le dégager de complications inutiles, qui tournaient à la manière et rendaient trop aisée la parodie. Les Contes qu’il fournit quelques mois au Matin, s’ils n’égalent point en robustesse ses Faits Divers d’autrefois, avaient du moins cet avantage de le ramener à une forme sobre et dépouillée. Mais il n’y mettait pas le meilleur de lui-même ; depuis trois ans il était obsédé par le dessein de Charles Blanchard. J’entends encore les phrases, mi-sérieuses, mi-plaisantes, où il le résumait, les premiers temps : « Je prends, disait-il, un petit mendiant, un être abandonné. À douze ans, il découvre le travail, et le travail le sauve. Il monte d’une classe, jusqu’au vrai peuple ; il devient un bon ouvrier, un père, puis un patriarche. Et voici la scène finale : Un soir, il fume au seuil de sa maison, en surveillant sa petite fille. L’enfant, penchée sur le sable, trace le portrait de Grand-Père, en commençant par la tête ; arrivée aux pieds, elle dessine, à chacun, quatorze doigts. Le vieux efface le dessin : « Un pied n’a pas plus de cinq doigts ! » Mais l’enfant, obstinément, recommence. Elle le voit tellement au-dessus des autres hommes, — cet ancien petit vagabond — qu’elle ne peut pas lui faire moins de quatorze doigts de pied ! » Ce rire ne nous abusait pas : il s’agissait