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d’une grave entreprise. Renonçant au prix Goncourt à force d’injustes déboires, Philippe voulait, dans une biographie à peine fictive, se délivrer des contraintes et des conventions du roman. Depuis longtemps il admirait La Vie d’un Simple, de son compatriote Guillaumin. Mais l’idée de Charles Blanchard ne lui vint pas avant qu’il eût perdu son père. Il l’avait toujours bien aimé ; mais il se reprocha de l’avoir méconnu. Il l’avait jugé souvent trop impérieux, trop prudent, trop économe, et surtout trop soumis aux puissances du monde ; maintenant la mort, qui simplifie tout, accusait les traits essentiels de ce héros modeste et fort : N’était-elle pas là, en effet, la vraie force longtemps cherchée ? Plutôt qu’à se plaindre et qu’à maudire, n’y a-t-il pas quelque grandeur à vivre la vie ouvrière, simplement, courageusement, et, ne pouvant racheter le monde, à sauver soi-même et les siens ? Certaines paroles de Félicien sont déjà comme une épigraphe pour Charles Blanchard : « Mon âme est venue toute seule, avec mon pain quotidien. J’ai toujours cru qu’avoir à gagner leur pain quotidien sauverait les hommes ». Si le travail vaut plus que la révolte, plus que la pitié, l’heure décisive d’une vie est donc celle où l’homme commence de s’attacher à son travail. C’est où Charles Blanchard devait être conduit ; mais comment ? par quelles étapes ? Mal guidé par quelques mots de son père, par d’insuffisants