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79° LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

n'oserai que cette objection : a-t-il le droit d'assimiler un groupe, une foule, une ville à un moteur aveugle — encore que faute d'huile, le sien grince parfois ? Sinon, pourquoi leur en impose-t-il l'allure ?

Je crains que M. Romains ne soit devenu peu à peu prison- nier de sa théorie. Le collectivisme lyrique qu'il a sinon inventé, du moins systématisé le premier, naquit sans doute en lui d'un altruisme irrésistible, au plus noble sens de ce mot, d'une chaleur de sympathie dont tels poèmes de la Vie Unanime rayonnaient, dont rayonnent encore des vers nom- breux, mais dispersés dans le développement presque tout cérébral d'un Etre en marche. Car le cerveau bientôt dut s'em- parer de cette disposition sincère du cœur. M. Romains, au lieu de s'y laisser porter, prémédita toutes ses émotions ; il n'admit plus qu'elles ne fussent pas " unanimes. " Il prit une position fixe, dans le monde, en face des éléments vivants de l'art, et il se contraignit coûte que coûte à la garder. Il ne chan- terait plus jamais que la collectivité et que ses rapports avec elle — et non en tant que lui s'y oppose mais qu'il s'y fond, et non en tant qu'agglomération dramatique d'antagonismes, mais que troupeau de bonnes volontés cherchant l'accord. Matière neuve, noble, mais combien limitée ! On s'en aperçoit aujourd'hui. Un Etre en marche nous peint dans sa partie épique, la promenade d'une pension de jeunes filles à travers la ville et les champs, dans sa partie lyrique une promenade du poète dans la ville, et ces deux " marches " bien entendu, au point de vue de " l'unanime" uniquement. Notez que le premier poème est plein de détails légers et charmants, le second secoué parfois d'une belle fièvre. Mais l'idée fixe prime tout : elle appelle les mots ; ceux qu'elle n'appelle pas, elle les informe : elle détermine la composition comme les détails. La plus fraîche impression, l'image la plus spontanée, le poète se doit de les justifier, de les incorporer à sa doctrine...

De là l'emploi de ce didactisme incessant, de ces formules prosaïques, abstraites, barbares, qui s'étonnent de soutenir une abondance si neuve et si variée de vues vraiment lyriques et de savoureuses comparaisons. De là cette monotonie inévi-

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