460 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
La voilà qui s'allongeait à présent, maigre et indécise, le long des trottoirs. Les sous-officiers renoncèrent vite à scander la marche. Les pas des laboureurs fatiguait la petite allure courte des employés. Le rôtisseur se mit à boiter au bout de cinq cents mètres ; sa corpulence, pre- nant du retard, creusa au milieu de son rang une encoche qui se répercuta fidèlement jusqu'à la queue de la colonne. Dubois marcha sur les talons de Lepetiton, Robin jura contre le sac d'Orillard qui stationnait traîtreusement pour lui assommer le nez. Morillon prit la corde d'un tournant, les numéros impairs des rangs qui suivaient adoptèrent son itinéraire qui fit bâiller les files comme un jeu de cartes et mena droit Carpentier s'emmêler dans les jambes du sergent Morice. Les canons de fusil com- mencèrent au bout des épaules une danse sautillante, sur un rythme contrarié et plein d'imprévu qui ne manquait pas de préciosité s'il lui manquait la vigueur mâle.
On serpenta ainsi, au hasard des à-coups et des virages inopinés ; l'insecte aux élytres bronzés se plissait en butant sur sa tête de cuivre, d'acier et de corne, puis s'étirait en crachant dans la poussière ; il fouit, à force d'endurance et d'entêtement, sa galerie tortueuse de la caserne jusqu'au pont, du pont jusqu'au plateau où se trouvait le champ de manœuvre. Il ne progressait qu'à force de mouvements convulsifs. Il parvint au but dans une sorte d'effort épuisé et extrême ; il s'était allongé du double; sa carapace rouge et bleue disparaissait sous une épaisse couche de poudre que mouchetait la chute des gouttes de sueur. Il abandonna ses armes et se coucha en désordre sur le sable rouge du terrain.
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