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moi épaisses du monde. Car s’était soir de carnaval et les gens avaient du temps à eux, et flottaient et frottaient les uns aux autres. Et leurs visages étaient pleins de la lumière des éventaires et le rire suintait de leurs bouches comme de blessures purulentes. Ils riaient toujours plus et s’aggloméraient d’autant plus que plus impatiemment je tentais d’avancer. J’accrochai je ne sais comment le châle d’une femme que j’entraînai; des gens m’arrêtèrent en riant ; et je sentais que j’aurais dû rire moi aussi ; mais je n’y parvenais pas. Quelqu’un me jeta une poignée de confetti dans les yeux ; ce fut cinglant comme un coup de fouet. Aux carefours les gens étaient coincés, imbriqués les uns dans les autres, sans plus de progrès possible, rien qu’un muet et mol ondulement comme pour s’accoupler tout debout. Mais bien qu’ils se tinssent immobiles tandis que, contre le trottoir, à travers la déchirure de la foule, je courais comme un fou, en vérité c’étaient tout de même eux qui bougeaient, et moi qui restais en place. Car rien ne changeait, à l’entour de moi ; quand je levais la tête, je continuais de voir les mêmes maisons d’un côté, de l’autre les baraques. Peut-être aussi tout était-il fixe, et n’y avait-il en moi comme en eux qu’un vertige qui faisait girer le tout. Mais je n’avais pas le temps d’y réfléchir ; j’étais lourd de sueur ; en moi tournoyait une douleur assourdissante, comme si mon sang charriait je ne sais quoi