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Page:NRF 7.djvu/24

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l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de tel outil subtil et dangereux dont il eût bien aimé se servir, n'est pas demandé, il y renonce et s'arrange pour montrer tout de même son intelli- gence et son invention, ainsi l'honnête homme rejette sans regret tous les sentiments que les circonstances ne font pas opportuns et trouve moyen d'engager dans l'affaire tout de même le meilleur de son âme. Il a soin de maintenir ses émotions secondaires à leur place et dans leur proportion ; il accepte que soient brisées quelques velléités étranges et fragiles, qu'il eût peut-être pu abriter en lui. Car il songe avant tout à former scrupuleusement sa souffrance à l'image de son malheur, et de telle façon qu'elle ne le déborde ni ne lui manque. Il préfère à garder son cœur intact et sans un vide, cet exquis mouvement plaintif qui déjà l'emporte et l'incline. Au lieu de s'amu- ser à son foisonnement, il cherche à le pencher exactement, à lui donner de la pertinence, une disposition bien sensible. Il veut répondre au coup qui le frappe par un cri pur, juste et surpris. Ses sentiments ne perdent pas leur tendance ; ils ne cessent pas de vouloir en venir à leurs fins ; ils méditent toujours des actes ; du moins ils se joignent pour faire un élan uni, un seul désir. Ainsi l'honnête homme demeure tout occupé à vivre, en échange perpétuel et dans une conversa- tion liée avec les événements. On a besoin de lui, et il ne fera pas défaut. Jacques Rivière.

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