Aller au contenu

Page:NRF 7.djvu/700

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

694 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'expression momentanée. En tout cas je suis obligé de faire comme si cela était, dès que je prétends donner d'eux une description, ou une construction intégrale.

D'après cela, on peut affirmer que, dans tout roman ainsi conçu, il y a un sujet apparent et un sujet réel : le sujet appa- rent, c'est l'action avec ses personnages, le sujet réel, c'est le milieu. Ainsi, dans la Salammbô de Flaubert, le vrai sujet, ce serait Carthage et non la banale aventure amoureuse de la fille d'Hamilcar. Dans mon Invasion, mon vrai sujet, ce serait Marseille, — Marseille envahie d'abord par les mercenaires étrangers, puis par les idées étrangères. Mais on n'exprimerait, en affirmant cela, qu'une partie de la vérité. Les personnages ne s'expliquent pas que par le milieu : il y a en eux quelque chose d'irréductible au milieu. Et, d'autre part, s'ils sont agis par lui, ils réagissent aussi contre lui. Ces actions et ces réac- tions réciproques épuisent toute la réalité du sujet.

Si l'on admet cette conception du roman, qui ne voit que les descriptions les plus longues, celles dont s'irritent le plus les lecteurs hostiles, sont nécessaires à l'intelligence de ces actions et réactions réciproques entre le milieu et les personnages ? Evidemment, il serait plus facile et plus expéditif de résumer tout cela en quelques phrases abstraites. Mais l'artiste ne disserte pas, il représente, se bornant à laisser transparaître, à travers la trame des faits, l'idée ou les idées dont ils sont les symboles. On peut ainsi se tromper sur ses intentions.

Sainte Beuve a considéré comme un hors d'œuvre la longue description des trésors d'Hamilcar dans Salammbô. Il n'y voit que de la matière remuée pour éblouir les yeux. J'y vois, pour ma part, non seulement un raccourci de l'âme carthaginoise en général, mais une très fine analyse psychologique appliquée à un cas particulier. Le spectacle de ses richesses et de ses domaines rend au Sufïète la conscience de sa force et de la puis- sance de sa maison; et d'autre part les dégâts des Barbares, les traces de leurs dévastations, qu'il constate à chaque pas, excitent

�� �