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Page:NRF 7.djvu/745

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JEAN MORÉAS 739

n'est pas à dire qu'il ne soit pas un pur poète, et même je ncn vois pas dans tout son siècle de plus pur, je veux dire qui mêle à sa poésie moins de matières et aussi de préoccupations étrangères ; mais c'est le plus abstrait de nos poètes, le seul à qui il ait été donné de réaliser cette poésie de la Raison où Sully Prudhomme en vain s'efforça. Son imagination était d'une sobriété qui touchait à l'indigence; et quant à sa sensibilité — je parle de sa sensibilité vraie, et non de cette sensibilité artificielle qu'il s'était faite par ses lectures et qui éploie dans ses vers de jeunesse des grâces un peu maniérées — tant qu'il n'eut pas réussi à la fondre avec sa raison, opération d'où elle sortit complètement transformée, il ne l'utilisa guère littérairement, et il fit bien, car c'était une sensi- bilité assez commune, celle d'un beau garçon un peu fat, d'un mâle râblé et sanguin qu'emporte un furieux appétit de plaisirs, de domination, de gloire, et qu'enivrent ses premiers succès. A trois quarts de siècle de distance les Nuits du jeune Musset nous émeuvent encore : celles de Moréas ne nous eussent pas un instant intéressés. Mais qu'arrive l'heure où, la jeunesse enfuie, le brouil- lard des passions dissipé, on commence, suivant le mot de Fontenelle, à voir les choses telles qu'elles sont, comme alors Moréas prend l'avantage 1 Si les passions abandonnent Musset, rien ne lui reste plus :

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