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982 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

poudreux et usés ; ce n'est pas avec tes yeux que je verrai les vives verdures lavées et le ciel sur moi comme un arbre bleu. Mais tu sais ce que c'est que àc faire une étape.

Péguy ne compose pas son œuvre avec la tran- quillité du maçon qui prend chaque pierre tour à tour pour en essayer la place dans l'édifice. Com- ment tiendrait-il ses idées à l'avance, puisqu'elles ne travaillent qu'à le fuir ? Il leur cède, et il le faut bien ; il les laisse partir. Mais il les rattrape. 11 est au milieu d'elles comme un naturaliste dont la boîte s'est renversée ; et les insectes filent dans tous les sens ; et il leur court après. Mais il les repince. Il réussit cette chose impossible d'être partout à la fois. Il compose non pas en dominant, mais en rejoignant, en ressaisissant et en ramenant.

Quand un musicien déclanche un thème, il n'en est pas le maître ; c'est quelque chose entre ses mains qui résiste, qui a sa sinuosité, sa cambrure propre ; déjà il ne le tient plus ; déjà il se sent emporté par lui. Aussi le lâche-t-il ; pour garder son empire sur l'œuvre, il l'abandonne, il en prend un autre. Mais un peu plus loin, sournoise- ment, il s'en empare à nouveau, et à nouveau il emploie à son dessein cette liberté et cette flexible révolte.

Péguy n'est pas seulement l'esclave, il est aussi le maître de son œuvre ; il consent aux

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