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Page:NRF 8.djvu/1079

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LA LITTÉRATURE IO7I

mais je suis certain que Chateaubriand, plus fin connaisseur de mots encore que Flaubert, n'eût pas employé ici heptagone qui est un signe plus qu'une image. Il est fort possible que " la mer couleur d'émeraude semblait comme Jigée dans la fraîcheur du matin " ait été, ainsi que bien des phrases du Télémaque, natif et beau dans son temps. Néanmoins, pour une image si commune, les deux tours préparatoires et explicatifs semblait et comme sont vraiment excessifs. Pareillement avaient Pair. Ce sont là des mots d'auteur qui paraissent tout naturels et nécessaires dans le discours direct, où l'auteur ne maintient pas la volonté artificielle et tendue de se dissimuler (vous en acceptez d'ana- logues dans le morceau de Chateaubriand), mais qui détonnent dans le cas contraire, et singulièrement chez Flaubert. La der- nière phrase n'a pas le moelleux et la souplesse de celle de Chateaubriand ; mais on ne saurait demander à Raphaël les qualités de Titien. Elle n'en est pas moins parfaite.

Evidemment il y a beaucoup d'injustice dans le jugement des Concourt sur Salammbô quand ils y trouvaient " une trop belle syntaxe, une s)-ntaxe à l'usage des vieux universitaires flegmatiques, une syntaxe d'oraison funèbre, sans une de ces audaces de tour, de ces sveltes élégances, de ces vire-voltes nerveuses, dans lesquelles vibre la modernité du stj'le con- temporain... et toujours encore des phrases de gueuloir ". * Audaces de tour, élégances et vire-voltes nerveuses, telles que les ont pratiquées les Concourt, pendent aujourd'hui dans leurs pages, comme des lambeaux de papier peint dans une chambre humide. Ce n'est pas la " modernité du style contem- porain " que je confronterais au style de Flaubert, c'est une certaine fraîcheur éternelle de beauté, c'est un mouvement intérieur, une respiration, cela même que je sens dans les phrases de Chateaubriand.

Et nous éprouvons, je crois, que si, de ces deux levers de

' Journal des Goncourty I, p. 374.

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