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JULIETTE LA JOLIE III

Le Louis est assis sous le manteau de la grande che- minée où flambe un feu clair. Dans le coin, près du lit de la mère Catherine, une malle est ouverte, où des chemises — six seulement, — sont pliées. A mesure que l'on y pense, on inscrit, pour ne pas les oublier, tous les menus objets dont il peut avoir besoin.

— Je vais aussi te mettre des pommes, dit M"* Frë- bault.

— Ce n'est pas la peine.

— Tu dis ça maintenant, mais sur ton bateau tu seras peut-être content de les trouver.

Si c'était vrai ? Voici la maison dont il connaît les moindres détails, depuis ce carreau fendu en trois jusqu'à cette tache d'humidité sur le mur, au-dessus de l'arche. C'est là, près de la cheminée, qu'il a lu tant de livres merveilleux, depuis Le Chasseur de Plantes et Les Misé- rables jusqu'à Madame Bovary et La Cousine Bette. C'est là que Juliette, — oui, Juliette, — venait s'asseoir lors- qu'elle s'arrêtait une minute, en passant. La maison fait face au vent et résiste à la pluie. De ses quatre murs dressés contre le vent, de son toit en pente sur lequel la pluie glisse, elle le protège. Seule la porte tremble, et les vitres sous l'averse ont l'air de frisonner. Cet abri de dix- huit années qu'il va falloir quitter ! Il va partir, marcher sous la pluie, dans le vent. La maison sera loin. Il se l'imaginera blottie, vieillissant peu à peu. Peut-être la perdra-t-il de vue, noyée dans la brume du passé. Il dira :

— Je ne me rappelle plus les dix-huit années de ma vie que j'ai vécues dans cette vieille maison.

Et peut-être même la reniera-t-il, au chant du coq, disant :

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