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Page:NRF 8.djvu/835

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SEPT HOMMES 827

me paraissait convenable, je remontai quotidiennement les Champs-Elysées, à l'heure où mes gens descendaient. Je les dépassais, puis revenais sur mon chemin, les accom- pagnant à distance, épiant le moment propice. Ils traver- saient en biais la place de la Concorde, mais tous les jours, des circonstances nouvelles les écartaient de mon petit jeu. Ce fut long. Une impatience bien justifiée me consumait. Je ne pensais guère à autre chose qu'à la solution du problème stratégique et tactique que je m'étais posé, et souvent, je passais la nuit à étudier un plan de la Concorde et lieux circonvoisins, sur lequel je plaçais, dans des posi- tions variées, des pions de bois, ronds, rectangulaires, en forme d'X...

Enfin, un jour de grande averse où les piétons ne s'oc- cupaient que de maintenir leurs parapluies contre les rafales, de sauver leurs pieds de la mouillure des flaques d'eau, et négligeaient ce qui pouvait se passer à vingt mètres d'eux, je résolus de tenter le sort. Je suivais le couple toujours enlacé, toujours détestable. Il atteignit la grande place et traversa. Je lançai ma voiture...

Je n'entendis que le cri de la femme projetée comme un ballon sur le trottoir où elle s'ouvrit le crâne ; — l'homme avait roulé sous l'auto sans dire ouf !

Et les ondes de la plus âpre volupté soulevaient mon être où le cri semblait encore retentir ! Quel beau hurle- ment ! Quelle horreur dans cette voix déchirante ! Je m'en délectais, fuyant à la quatrième vitesse de ma docile voiture et narguant un sergent de ville qui écarqui liait les yeux sur les numéros de fantaisie qu'elle portait.

— Oh !... Quel dommage que l'homme n'eût pas braillé, de son côté. C'eût été un duo fort harmonieux !

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