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toujours au nord

le long des glaces. Un moment, des glaçons chassés par la tempête menacent d’écraser les canots. Jusque-là les deux embarcations avaient navigué de conserve, prêtes à se porter secours réciproquement ; désormais chacun eut liberté pleine et entière de ses mouvements, chaque équipage dut travailler à son salut comme il l’entendait. Chacun pour soi et Dieu pour tous ! Au moment où la tempête est dans toute sa violence, une des rames de mon embarcation se brise. Nous n’avons plus d’avirons de rechange, les ayant tous cassés dans les manœuvres, au milieu des glaces. Tant bien que mal, nous remédions à l’avarie en prenant une rame de réserve dont la feuille a été avariée, et l’on redouble d’ardeur pour vaincre le flot. Par instants les rafales sont si violentes qu’en dépit de tous nos efforts les embarcations dérivent sous la poussée du vent. Juste au moment où l’ouragan est dans toute sa force, un tolet se brise ; en quelques instants, ce nouvel accident est réparé. Au prix des efforts les plus pénibles, nous réussissons à nous diriger du côté de la rive. Nous atteignons bientôt un large glaçon ; tout de suite Dietrichson saute dessus pour haler le canot à la cordelle ; dans son ardeur le malheureux n’aperçoit pas un large trou ouvert à la surface de la glace et y prend un bain complet. Pareil incident arrive journellement à chacun de nous, mais, dans la situation présente, avec cette tempête, il est particulièrement désagréable. Notre camarade réussit à sortir rapidement de sa baignoire, saisit la corde, et, comme si de rien n’était, haie l’embarcation. Il n’était pourtant pas précisément agréable de rester, avec des vêtements mouillés, exposé à un vent aussi âpre : jamais Dietrichson n’éprouva le moindre malaise à la suite de pareille aventure.

Une fois le glaçon dépassé, la violence du vent nous empêche d’avancer. Sous le souffle de la tempête nous allons même dériver ; grâce aux vigoureux coups d’aviron des rameurs nous réussissons à maintenir l’embarcation en place. Dietrichson est à ce moment occupé à repousser des glaçons, lorsque la gaffe qu’il tient vient à perdre son appui, et voilà de nouveau notre camarade à l’eau. Ce jour-là cet excellent ami n’eut véritablement pas de chance.

Dans le voisinage de la côte, la mer est plus calme. Bientôt nous réussissons à atterrir près du point où Sverdrup nous attend depuis