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DOUBLE SAUVETAGE.

« Les jambes hors de l’eau, s’écria Langelle ; Résort, agitez donc les jambes, les bras, criez donc plus fort.

— Je ne… puis…, répondit une voix à peine distincte, je… ne puis…, mon sabre m’entraîne… Laissez-moi, laissez-moi…, » ajouta le pauvre enfant que l’officier essayait en vain de soutenir. Celui-ci n’hésita pas, il plongea, pour dégrafer le ceinturon de l’aspirant.

Là-dessous un bruit sinistre, des mâchoires acharnées sur le corps du nègre… Lorsque Langelle reparut, soutenant Résort enfin débarrassé de son sabre, tous les deux purent agiter leurs pieds en criant à tue-tête jusqu’à l’arrivée d’une grande embarcation de commerce, où les officiers furent promptement hissés par l’arrière, tandis que l’autre nègre grimpait seul par l’avant. La tache rouge restait encore visible à quelques mètres.

Pendant qu’on s’empressait autour de Ferdinand, à moitié évanoui :

« Et Stop ? cria Langelle, il nous suivait, il n’y a qu’une seconde. Stop ! Stop ! répéta-t-il.

Wap, wap, » fit une voix plaintive. Tous alors aperçurent le chien qui fuyait devant un ennemi invisible ; affolé, il s’éloignait du secours au lieu de s’en rapprocher. Sans rien entendre, après avoir arraché son habit et ses souliers, Langelle sauta à l’eau, nageant à force de bras, les pieds en l’air et poussant des cris sauvages. Stop atteint, saisi par le collier, dix bras tendus au-dessus des plats-bords de l’embarcation enlevèrent l’homme et le chien.

La scène n’avait pas duré longtemps ; mais jamais Résort n’en perdit le souvenir ; il se rappela toujours ces minutes d’angoisses où on le retenait de force pendant que son sauveur courait au-devant d’une effroyable mort. Ensuite il sanglotait en embrassant Langelle, qui, impassible, caressait Stop et regardait le long des plats-bords les requins mis en appétit et dont les horribles têtes émergeaient de temps en temps.

Au carré, on ne s’entretint, pas d’autre chose le lendemain et après l’appareillage. Quels risques avaient couru l’officier et l’aspirant ! car aux Antilles les rades fourmillent de requins. Sans compter Stop, sauvé par son maître, au péril de sa vie. Résort était présent, invité à déjeuner.

« Écoutez, mon petit, lui dit alors Langelle, si vous n’imitez la réserve de mon chien, je ferai un malheur ! Ainsi, tâchez de ne plus me parler de reconnaissance ou d’autres balivernes pareilles ; en tout cas, je suis à peine quitte envers votre père. »

Un officier l’interrogeant, Langelle raconta l’histoire de cette nuit passée sur une bouée, dans le Pacifique, et il ajouta : « Voilà ma