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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

Les renforts étaient envoyés de France, où bien des familles pleuraient déjà un fils et un mari. Celles dont les membres combattaient en Orient, et d’autres aussi, ne voulaient pas comprendre pourquoi Sébastopol tenait encore. On discutait beaucoup et on blâmait davantage. Et cet investissement rêvé à Paris revenait sur le tapis : « Pourquoi ne pas investir ? répétaient la plupart des gens. — Impossible, » répondaient de Crimée les généraux compétents.

Les correspondances particulières de Vienne évaluaient à vingt-cinq mille le nombre des Russes tués ou mis hors de combat au feu jusqu’à la fin de décembre. Encore plus éprouvés que nous, ils avaient au mois de février vingt-cinq mille soldats à l’hôpital de Baktchisaraï. Des convois de malades partaient constamment pour le centre de l’empire.

Cependant le tsar et les généraux espéraient lasser leurs ennemis, et pas plus alors qu’aux premiers jours du siège, on n’entrevoyait la possibilité de rendre Sébastopol.

Le général Totleben cherchait et trouvait sans cesse des combinaisons nouvelles pour fortifier la ville au dedans et la mieux défendre au dehors : là des barricades et des redoutes, plus loin de nouveaux bastions, partout des embuscades où tombaient souvent nos éclaireurs et nos francs-tireurs emportés par un courage inconsidéré.

Déjà miné par le chagrin dont il devait bientôt mourir, le tsar ordonna l’attaque d’Eupatoria, défendue par la division turque, attaque entreprise malgré le général russe Wrangel et dont l’insuccès entraîna le rappel du prince Menschikoff, celui-ci fut remplacé en Crimée ; par le général Gortchakoff, qui était à la tête du vieux parti russe et de la résistance à outrance.

… À la fin d’une belle journée du mois de février, deux personnes causaient à Toulon de la guerre d’Orient, que trois autres paraissaient écouter avec un très vif intérêt. C’étaient de vieilles connaissances : le commandant Le Toullec et Jacques de Langelle d’une part, et de l’autre Mademoiselle, Stop et Pluton.

La tête appuyée sur les genoux de Jacques, Stop tournait résolument le dos à son ancienne ennemie, retrouvée par lui avec un déplaisir évident. Étendus côte à côte et rôtissant leurs petits nez devant un bon feu, la guenon et le chat jouissaient de l’existence et de la bonne chaleur.

« Oui, Langelle, je partage votre avis : la guerre durera encore longtemps, disait Le Toullec, et je n’en suis que plus désolé en restant ici, pareil à un vieux cachalot sur un banc de corail. Mais pour vous, quelles nouvelles ?