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PROPOS DE GUERRE ET D’HYMEN.

les soldats acclamèrent Canrobert, le suivant, l’écoutant, et, bien malgré lui, le traitant comme s’il eût toujours été leur général en chef.

Par un dernier acte d’abnégation, le général Canrobert se rendit aux avis de Napoléon III et il se retira à la veille du succès qu’il espérait, qu’il savait être proche.

En effet, le grand triomphe se préparait, dont les Russes avancèrent l’heure par la bataille livrée à Tracktir sur la Tchernaïa, rivière qui coule du sud au nord-ouest de la Crimée et se jette dans la baie de Sébastopol.

Cette victoire ramena la confiance chez les alliés, et dès lors pas un soldat ne douta plus du succès.

À la fin du mois d’août les deux armées ennemies se touchaient presque, la lutte incessante les décimait nuit et jour ; d’un bastion russe à une batterie française, lorsque un moment s’arrêtait le bruit de la mitraille, on pouvait suivre une conversation. Les mines avançaient, les contre-mines serpentaient, et sous terre les explosions répondaient aux grondements du canon.

Le 3, l’assaut fut définitivement résolu, et, le 5, commença ce bombardement « infernal », suivant l’expression de Gortschakoff. Alors tirèrent : six cents bouches à feu françaises, cent quatre-vingt-quatorze anglaises, auxquelles treize cent quatre-vingt-six pièces russes répondirent pendant trois jours et trois nuits. Se figure-t-on deux mille cent quatre-vingts pièces tonnant à la fois, sans une minute d’interruption, tandis qu’une demi-obscurité empêchait de rien distinguer au milieu de cette épaisse fumée, à chaque instant illuminée par de rouges lueurs ?

Les canons de marine hurlaient encore plus fort que les autres.

« Demain, avait dit le général Bosquet le 7 septembre, demain Malakoff et Sébastopol seront à nous ! »

Le 8, dès l’aube, une forte brise chassa la fumée amoncelée. Les officiers et les soldats, par ordre, revêtirent leur grande tenue. La musique des régiments joua les airs nationaux et la marche de Crimée. Cependant les canons continuaient leur duel jamais interrompu.

À midi sonnant, tête découverte et chapeau en main, les généraux s’élancèrent sur la crête des parapets en criant : « Soldats, en avant, et vive l’empereur ! »

Toute l’armée répéta ce cri avec cette variante : « Vive la reine, ou vive le roi ! »

Le dernier effort et la dernière lutte furent magnifiques. Mais combien succombèrent durant l’action suprême !