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Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/309

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PROPOS DE GUERRE ET D’HYMEN.

l’un des vaisseaux ne tirait pas absolument en ligne ; cela contrariait fort l’amiral Bruat, qui murmurait : « J’aurais dû passer dans leurs rangs avant d’ouvrir le feu ; mais oui, certainement. » Et puis, à haute voix, s’adressant à un des officiers d’ordonnance :

« Résort, faites armer mon canot. »

L’officier se précipite en bas de la dunette ; un léger mouvement se produit sur le pont, et une demi-exclamation parcourt le vaisseau.

Le canot une fois descendu au moyen de palans et l’échelle promptement amenée par tribord :

« Amiral, dit Ferdinand, son chapeau à la main, amiral, le canot est paré.

— Embarque alors, » répond l’amiral, qui ajoute : « MM. de Résort et Le Bris m’accompagneront avec le commandant Dieudonné. »

Au bout de quelques minutes, l’amiral et les officiers avaient pris place dans le grand canot peint en blanc, qui s’éloignait du bord ; trente-deux matelots nageaient là en habit de fête, vestes blanches et larges chapeaux cirés. Debout derrière l’amiral, un second maître gouvernait à côté du pavillon qu’agitait une brise légère.

Le soleil brillait, la mer était bleue avec de petites vagues blanches. Les hommes nageaient admirablement d’ensemble sans qu’un de leurs avirons tombât avant l’autre. Sur le canot, les balles sifflaient, les boulets sautaient à l’entour ; néanmoins quelques-uns en ricochant mouillèrent les officiers ; sans presser son allure, l’embarcation serpentait toujours au travers des soixante-dix bâtiments embossés.

Parfois l’amiral disait : « Stop ! » Aussitôt le maître, avec son sifflet d’argent, lançait un trille prolongé. Au bout d’un instant, le sifflet retentissait de nouveau et le canot reprenait sa marche.

Alors de tous les navires, les uns après les autres, et dès qu’un équipage apercevait l’amiral, partaient des hourras frénétiques. « Jamais, nous a raconté un officier présent, jamais, avant, ni depuis, un pareil enthousiasme ne fut manifesté à bord. Les équipages étaient comme électrises par ce sang-froid et par ce défi jeté à la mort au milieu du combat. »

Dans ce canot, glissant au travers de la mitraille, pas un officier pas un homme n’eût donné sa place pour tout l’or du monde.

L’inspection terminée, après avoir salué le dernier bâtiment : «  À bord du Montebello, » dit l’amiral.

Lorsque le grand canot accosta tranquillement l’échelle de tribord, les balles russes n’avaient pas touché un de ces officiers et de ces hommes qui montèrent à la suite de leur chef sur le pont du Montebello.

À une heure et demie, la forteresse ne tirait plus qu’à de longs