Page:Narrache - Jean Narrache chez le diable.djvu/36

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tout droit chez moi, si j’avais été seul. Tu ignores la consigne exigeant que tout humain traverse le Styx dans la barque de Charron. »

— « C’est pourtant vrai ! Cela me revient à la mémoire : le Styx, la barque, Charron ! Ô merveilleux souvenirs de collège ! Et l’on osera prétendre qu’un cours classique ça ne sert à rien ! J’ai envie de chanter comme le Neveu de Rameau : « Divinités du Styx. »

— « Fais-moi grâce de tes envolées lyriques et cesse de citer Gluck et Diderot ! Suis-moi plutôt jusque chez le bonhomme Charron. Il faut que nous profitions de la nuit pour traverser. »

— « Tu vas le réveiller en pleine nuit ? Je te parie qu’il sera d’une humeur massacrante, comme un sénateur qu’on réveille en pleine assemblée, pour lui poser une question. »

Je suivis mon compagnon en trébuchant, tout en m’habituant peu à peu à l’obscurité, comme lorsque je tente de lire les propos philosophiques d’Hermas Bastien. La masure de Charron nous apparut enfin, tout près de la rive. À notre approche, un concert d’aboiements furieux et de grincements de chaînes nous accueillit, et un énorme chien bondit hors de sa cabane.

— « Tiens, fit mon compagnon, c’est le vieux Cerbère ! Toujours enragé comme son maître. »

— « Cerbère ? Oh ! oui, je me souviens ! « Je me souviens » comme dit la devise de ma province. »

— « Au fait, de quoi se souvient-elle, ta province ? »

— « Mon pauvre vieux, je crois que personne ne l’a jamais su. »

La porte de la masure s’était ouverte et Charron en avait surgi en criant : « Marche te coucher,