Page:Narrache - Jean Narrache chez le diable.djvu/38

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à tant de mes bons amis journalistes qui, un bon ou plutôt un mauvais jour, ont lancé leur bonnet par-dessus les moulins et sont allés se fourvoyer dans la politique. Il me semble qu’ils ont, de propos délibéré, pris eux-mêmes un chemin de raccourci pour aller chez le diable.

Tandis que je poursuivais mes pensées, comme on dit en style de conférencier, nous avions marché jusqu’à la barque. Vous devriez la voir, la fameuse barque ! Toute vermoulue et toute chambranlante comme nos anciens tramways et aussi sale que nos autobus d’aujourd’hui. Le bonhomme nous cria : « Avancez en avant ! » Une profonde nostalgie m’embruma les yeux et je suivis mon compagnon, tandis que Charron s’installait près de ses rames, qui trempaient dans l’eau du Styx, une eau boueuse et noirâtre comme du café de restaurant français. Au moment de détacher l’amarre, il se ravisa : « Dites donc, Messire le Diable, vous ne m’avez pas présenté votre ami. »

— « C’est vrai ! Excusez-moi. Mon compagnon est un Canadien français en promenade. »

— « Enchanté, monsieur le Canadien français. Cependant, malgré tout le plaisir que j’ai de m’être levé en pleine nuit pour vous promener, il faut bien que je vous réclame mon obole. »

— « Votre obole ? » fis-je en prenant un air innocent.

Je me rappelais bien, pourtant, que personne ne montait dans la barque de Charron, sans lui verser le prix du passage. Je savais aussi que, comme d’habitude, je n’avais pas un sou vaillant dans mes goussets. Heureusement, mon compagnon se porta à mon secours.

— « Voyons, mon cher Charron, j’ai oublié de