Page:Narrache - Jean Narrache chez le diable.djvu/42

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vous montrera qu’aller chez le diable n’est pas aussi facile qu’un vain peuple le pense. J’ai pris presque autant de temps qu’il en a fallu à Montréal pour obtenir son métro. Voyez-vous, moi, je n’avais tout de même pas, comme Drapeau et Saulnier, à déjouer les tours des monteurs de bateaux, qui auraient tant voulu profiter du métro pour se faire un joli magot ! Hélas, que de déceptions pour toute cette tourbe ! Drapeau et Saulnier, vous êtes des tueurs de rêves !!

Le bonhomme Charron, replié sur ses rames et tout ruisselant de sueurs, s’esquintait. Pourtant, la barque n’avançait guère. Mon compagnon, silencieux comme moi, regardait le paysage désolé qui me rappelait les sites prétendus merveilleux que vante la publicité de l’Office du tourisme de ma province.

Je finis pas prendre le bonhomme en pitié. Et puis, la lenteur du voyage m’exaspérait. On se serait cru dans un autobus du circuit 15. Je me risquai donc à dire :

— « Mon pauvre monsieur Charron, je me demande bien pourquoi on vous laisse vous éreinter à ramer. Ce serait si facile de vous acheter un canot à moteur. »

Le bonhomme cessa aussitôt de ramer, et en s’épongeant le front, me dit sur un ton de raillerie ou de reproche (j’ignore lequel) :

— « Un canot à moteur ! Vous n’y pensez pas, mon jeune ami. Ce serait renier toute la tradition ! Je ne vous comprends pas ! Vous, un Canadien français, être si peu respectueux du passé ! Vous devriez savoir qu’ici, comme dans votre province, rien ne doit bouger, rien ne doit s’améliorer. Comme chez vous, nous passons notre