Page:Nerciat - Félicia.djvu/318

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bruit, parut. Béatin, accusé par plusieurs témoins, se prosterne. — Qu’on le laisse passer, dit mon père, avec un sang-froid qui n’appartient qu’aux grandes âmes, qu’il se retire et qu’on se garde de lui faire la moindre violence. Allez, monsieur.

Béatin fut oublié. Nous ne nous occupâmes plus que de nous. Mon père insistait pour que sa chère Zéila l’épousât sans délai. — Nous devons, disait-il, assurer le sort de la chère Félicia. Nous ne sommes d’ailleurs comptables de notre conduite qu’à nous-mêmes. Nous irons en Angleterre. Monrose aura la fortune de son père : j’y joindrai de quoi le soutenir sur un pied convenable. Je suis sûr qu’il saura se faire honneur de nos bienfaits… Quant au comte… j’aurais un projet pour lui ; il doit la vie à Félicia, et par l’enchaînement des circonstances, il lui doit encore l’honneur. Qu’il l’épouse ! Il est absolument sans biens : je me charge d’y pourvoir et de terminer avantageusement toutes ses affaires et de lui composer une fortune convenable à sa naissance.

Cette idée, qui plût beaucoup à ma mère et à Sylvina, me fit trembler au premier moment : moi ! m’engager… Cependant, devenir comtesse !… Ah ! que n’était-ce plutôt marquise ! … Mais non, ce n’était pas la même chose. Ce que le comte pouvait, ce qu’il devait peut-être, le marquis ne le pouvait pas. J’éloignai bien vite une mauvaise pensée… Cependant, me marier au comte, n’était-ce pas demeurer libre ?… Il ne pouvait vivre longtemps… Mais mourant ami ou mari, mes regrets n’étaient-ils pas les mêmes ? Toutes ces pensées se présentèrent à la fois à mon esprit ; on me pressait de consentir que Sylvina, qui s’offrait, fît auprès du comte les premières démarches. Elle n’en eut pas la peine. Voici ce qu’il nous écrivait de son lit, tandis que nous nous occupions du projet singulier d’en faire mon époux. « De la part de l’infortuné comte de L… à tout ce qu’il a de cher au monde, réuni chez Mme  de Rerlandec, et à milord Sydney, salut.

« Mes amis, je sais tout : ce que les obstacles n’auraient jamais pu, l’amitié, la reconnaissance le peuvent, l’ordonnent