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Page:Nerval - Contes et Facéties, 1852.djvu/32

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figure, et lui adressa la parole d’un ton emphatique :

« Voici le passé : Vous avez perdu père et mère ; vous êtes depuis six ans apprenti drapier sous les piliers des Halles. Voici le présent : Votre patron vous a promis sa fille unique ; il compte se retirer et vous laisser son commerce. Pour l’avenir, tendez-moi votre main. »

Eustache, très étonné, tendit sa main ; l’escamoteur en examina curieusement les lignes, fronça le sourcil avec un air d’hésitation, et appela son singe comme pour le consulter. Celui-ci prit la main, la regarda, puis s’allant poster sur l’épaule de son maître, sembla lui parler à l’oreille ; mais il agitait seulement ses lèvres très vite, comme font les animaux lorsqu’ils sont mécontents.

« Chose bizarre ! s’écria enfin maître Gonin, qu’une existence si simple dès l’abord, si bourgeoise, tende vers une transformation si peu commune, vers un but si élevé !… Ah ! mon jeune coquardeau, vous romprez votre coque ; vous irez haut, très-haut… vous mourrez plus grand que vous n’êtes. »

« Bon ! dit Eustache en soi-même, c’est ce