Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/350

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en est de même des artistes peintres et statuaires, qui en sont les enfants gâtés.

Comme le louveteau, je fus ébloui de la splendeur du coup d’œil. Le chef d’ordre nous fit asseoir à une table, d’où nous pûmes admirer les trophées ajustés entre chaque panneau. Je fus étonné de ne pas y rencontrer les anciennes légendes obligées : « Respect aux dames ! Honneur aux Polonais ! » Comme les traditions se perdent !

En revanche, le bureau, drapé de rouge, était occupé par trois commissaires fort majestueux. Chacun avait devant soi sa sonnette, et le président frappa trois coups avec le marteau consacré. La mère des compagnons était assise au pied du bureau. On ne la voyait que de profil, mais le profil était plein de grâce et de dignité.

— Mes petits amis, dit le président, notre ami *** va chanter une nouvelle composition, intitulée la Feuille de saule.

La chanson n’était pas plus mauvaise que bien d’autres. Elle imitait faiblement le genre de Pierre Dupont. Celui qui la chantait était un beau jeune homme aux longs cheveux noirs, si abondants, qu’il avait dû s’entourer la tête d’un cordon, afin de les maintenir ; il avait une voix douce parfaitement timbrée, et les applaudissements furent doubles, — pour l’auteur et pour le chanteur.

Le président réclama l’indulgence pour une demoiselle dont le premier essai allait se produire devant les amis. Ayant frappé trois coups, il se recueillit, et, au milieu du plus complet silence, on entendit une voix jeune, encore imprégnée des rudesses du premier âge, mais qui, se dépouillant peu à peu (selon l’expression d’un de nos voisins), arrivait aux traits et aux fioritures les plus hardis. L’éducation classique n’avait pas gâté cette fraîcheur d’intonation, cette pureté d’organe, cette parole émue et vibrante, qui n’appartiennent qu’aux talents vierges encore des leçons du Conservatoire.