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ANGÉLIQUE

La tombe de Rousseau est restée telle qu’elle était, avec sa forme antique et simple, et les peupliers, effeuillés, accompagnent encore d’une manière pittoresque le monument, qui se reflète dans les eaux dormantes de l’étang. Seulement la barque qui y conduisait les visiteurs est aujourd’hui submergée… Les cygnes, je ne sais pourquoi, au lieu de nager gracieusement autour de l’île, préfèrent se baigner dans un ruisseau d’eau bourbeuse, qui coule, dans un rebord, entre des saules aux branches rougeâtres, et qui aboutit à un lavoir, situé le long de la route.

Nous sommes revenus au château. — C’est encore un bâtiment de l’époque de Henri IV, refait vers Louis XV, et construit probablement sur des ruines antérieures, — car on a conservé une tour crénelée, qui jure avec le reste, et les fondements massifs sont entourés d’eau, avec des poternes et des restes de ponts-levis.

Le concierge ne nous a pas permis de visiter les appartements, parce que les maîtres y résidaient. Les artistes ont plus de bonheur dans les châteaux princiers, dont les hôtes sentent qu’après tout, ils doivent quelque chose à la nation.

On nous laissa seulement parcourir les bords du grand lac, dont la vue, à gauche, est dominée par la tour dite de Gabrielle, reste d’un ancien château. Un paysan qui nous accompagnait nous dit : « Voici la tour où était enfermée la belle Gabrielle… tous les soirs Rousseau venait pincer de la guitare sous sa fenêtre, et le roi, qui était jaloux, le guettait souvent, et a fini par le faire mourir. »

Voilà pourtant comment se forment les légendes. Dans quelques centaines d’années, on croira cela. Henri IV, Gabrielle et Rousseau sont les grands souvenirs du pays.