Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/316

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— Rends-moi ce sabre, malheureux, criait Desroches, rends-le-moi ! Non, tu ne me frapperas pas, misérable fou ! … rêveur cruel !…

— C’est cela, criait Wilhelm d’une voix étouffée, tuez aussi le fils dans la galerie !… Le fils est un Allemand… un Allemand !

En ce moment des pas retentirent et Desroches lâcha prise. Wilhelm abattu ne se relevait pas…

Ces pas étaient les miens, messieurs, ajouta l’abbé. Emilie était venue au presbytère me raconter tout pour se mettre sous la sauvegarde de la religion, la pauvre enfant. J’étouffai la pitié qui parlait au fond de mon cœur, et lorsqu’elle me demanda si elle pouvait aimer encore le meurtrier de son père, je ne répondis pas. Elle comprit, me serra la main et partit en pleurant. Un pressentiment me vint ; je la suivis, et quand j’entendis qu’on lui répondait à l’hôtel que son frère et son mari étaient allés visiter le fort, je me doutai de l’affreuse vérité. Heureusement j’arrivai à temps pour empêcher une nouvelle péripétie entre ces deux, hommes égarés par la colère et par la douleur.

Wilhelm, bien que désarmé, résistait toujours aux prières de Desroches ; il était accablé, mais son oeil gardait encore toute sa fureur.

— Homme inflexibles ! lui dis-je, c’est vous qui réveillez les morts et qui soulevez des fatalités effrayantes ! N’êtes-vous pas chrétien, et voulez-vous empiéter sur la justice de Dieu ? Voulez-vous devenir ici le seul criminel et le seul meurtrier ? L’expiation sera faite, n’en doutez point ; mais ce n’est pas à nous qu’il appartient de la prévoir, ni de la forcer.