Page:Nerval - Les Filles du feu.djvu/317

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Desroches me serra la main et me dit : Emilie sait tout. Je ne la rêverai pas. Mais je sais ce que j’ai à faire pour lui rendre sa liberté.

— Que dites-vous, m’écriai-je, un suicide ?

A ce mot, Wilhelm s’était levé et avait saisi la main de Desroches.

— Non ! disait-il, j’avais tort. C’est moi seul qui suis coupable, et qui devais garder mon secret et mon désespoir !

Je ne vous peindrai pas les angoisses que nous souffrîmes dans cette heure fatale ; j’employai tous les raisonnements de ma religion et de ma philosophie, sans faire naître d’issue satisfaisante à cette cruelle situation ; une séparation était indispensable dans tous les cas, mais le moyen d’en déduire les motifs devant la justice ! Il y avait là, non-seulement un débat pénible à subir, mais encore un danger politique à révéler ces fatales circonstances.

Je m’appliquai surtout à combattre les projets sinistres de Desroches et à faire pénétrer dans son cœur les sentiments religieux qui font un crime du suicide. Vous savez que ce malheureux avait été nourri à l’école des matérialistes du dix-huitième siècle. Toutefois, depuis sa blessure, ses idées avaient changé beaucoup. Il était devenu l’un de ces chrétiens à demi sceptiques comme nous en avons tant, qui trouvent qu’après tout un peu de religion ne peut nuire, et qui se résignent même à consulter un prêtre en cas qu’il y ait un Dieu ! C’est en vertu de cette religiosité vague qu’il acceptait mes consolations.

Quelques jours s’étaient passés. Wilhelm et sa sœur n’avaient pas quitté l’auberge ; car Emilie était fort malade après