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ANGÉLIQUE

et même des padischas, et je sais comment on parle aux autorités.

— Monsieur le commissaire, dis-je alors (parce qu’il faut toujours donner leurs titres aux personnes), j’ai fait trois voyages en Angleterre, et l’on ne m’a jamais demandé de passeport que pour me conférer le droit de sortir de France… Je reviens d’Allemagne, où j’ai traversé dix pays souverains, — y compris la Hesse : — on ne m’a pas même demandé mon passeport en Prusse.

— Eh bien ! je vous le demande en France.

— Vous savez que les malfaiteurs ont toujours des papiers en règle…

— Pas toujours…

Je m’inclinai.

— J’ai vécu sept ans dans ce pays ; j’y ai même quelques restes de propriétés…

— Mais vous n’avez pas de papiers ?

— C’est juste… Croyez-vous maintenant que des gens suspects iraient prendre un bol de punch dans un café où les gendarmes font leur partie le soir ?

— Cela pourrait être un moyen de se déguiser mieux.

Je vis que j’avais affaire à un homme d’esprit.

— Eh bien ! monsieur le commissaire, ajoutai-je, je suis tout bonnement un écrivain ; je fais des recherches sur la famille des Bucquoy de Longueval, et je veux préciser la place, ou retrouver les ruines des châteaux qu’ils possédaient dans la province.

Le front du commissaire s’éclaircit tout à coup :

— Ah ! vous vous occupez de littérature ? Et moi aussi, monsieur ! J’ai fait des vers dans ma jeunesse… une tragédie…