Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/107

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de la demeure des parents de Jeannette, il passait tous les jours devant la maison, située au fond d’une vallée et entourée de peupliers qu’arrosait le ruisseau de la Fontaine-Froide ; il saluait ces arbres comme des amis, et rentrait l’âme pleine d’une douce mélancolie.

Mais c’est à l’église que l’apparition revenait dans tout son charme. Nicolas avait fait une prière qu’il répétait sans cesse pour concilier sa religion et son amour : Unam petii a Domino, disait-il tout bas, et hanc requiram omnibus diebus vitæ meæ ? (Je n’en ai demandé qu’une au Seigneur, et je la chercherai tous les jours de ma vie !) Confiant dans cette oraison, il s’était donné une jouissance dont jamais personne n’a eu l’idée. Le sonneur était vigneron ; et son travail à l’église le dérangeait souvent de l’autre. Nicolas lui offrit de le remplacer ; il entrait alors de bonne heure dans l’église, et, s’y trouvant seul, il courait à la place habituelle de Jeannette, s’y agenouillait, puis s’appuyait aux mêmes endroits qu’elle, baisait la pierre qu’avaient touchée les pieds de la jeune fille et récitait sa prière favorite.

Un jour d’été, par un temps de sécheresse, ou manquait d’eau pour arroser le jardin de la cure. L’abbé Thomas dit à Nicolas et à un enfant de chœur nommé Huet : « Allez chercher de l’eau au puits de M. Rousseau. » Mais il se trouva que ce puits manquait de corde. Que faire ? Huet dit aussitôt qu’il apercevait Mlle  Rousseau et allait lui en demander une. Nicolas, tout tremblant, retint Huet par son habit. Lui parler, à elle !… Il frissonnait, non de jalousie, mais de la hardiesse de Huet. Cependant Jeannette, qui avait vu leur embarras, apportait une corde, et, pendant qu’elle aidait Huet à la placer, ses mains touchaient parfois celles de jeune garçon. Nicolas ne lui enviait pas ce bonheur, le contact de