Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/143

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La destinée se compose d’une série de hasards, insignifiants en apparence, qui, par quelque détail imprévu, changent toute une existence, soit en bien, soit en mal. Telle était du moins l’opinion de Nicolas, qui ne croyait guère à la Providence. Aussi se disait-il plus tard : « Ah ! si je n’étais pas allé loger chez ce Ruthot ! » ou bien : « Si j’avais eu plus de vingt-quatre sous à l’époque où je reçus la lettre de M. Parangon ! » ou encore : « Quel malheur que je n’eusse pas changé de logement, comme j’en avais eu l’idée avant l’époque où cette lettre m’arriva ! »

Près de l’hôtel tenu par Ruthot demeurait une dame Lebègue, veuve d’un apothicaire, et dont la fille Agnès, douée d’une beauté un peu mâle, devait avoir quelque fortune de l’héritage de son père. Ruthot était assez bel homme et faisait la cour à la veuve Lebègue. Il invita Nicolas à quelques soupers où Agnès Lebègue déploya une foule de grâces et d’amabilités à l’adresse du jeune imprimeur. Ce dernier apprit plus tard que les frais de ces réunions avaient été faits par M. Parangon. Il en resta d’autant mieux convaincu, que le vin y était très bon, M. Parangon étant un connaisseur. La séduction alla son train, et l’on parla bientôt de mariage. Nicolas écrivit à ses parents, qui, renseignés par M. Parangon, donnèrent facilement leur approbation. Tout conspirait à perdre le malheureux Nicolas. Son ancien ami le cordelier Gaudet d’Arras, qui eût pu l’éclairer cette fois de son expérience, comme il l’avait perdu moralement par son impiété, s’était depuis longtemps éloigné d’Auxerre. De plus, M. Parangon prenait peu à peu une grande influence sur Nicolas, qu’il avait tiré de la misère par quelques prêts d’argent. « Quand Jupiter réduit un homme en esclavage, il lui ôte la moitié de sa vertu, » comme disait le bon Homère. Une circonstance bizarre fut qu’au dernier moment