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Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/150

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Le lendemain matin, Nicolas se réveilla dans une des chambres de la maison. Le rêve avait disparu. C’était l’histoire de l’Amour et Psyché retournée : Psyché s’était envolée avant l’aurore, l’Amour restait seul. Nicolas, un peu confus, encore plus charmé, essaya d’interroger l’hôtesse ; mais c’était une femme discrète et certainement payée pour l’être. Elle voulut même persuader à Nicolas qu’il était venu dans la maison un peu animé par quelque boisson généreuse… et qu’enfin il avait rêvé. Nicolas, qui ne buvait que de l’eau, n’admit pas cette supposition.

— Eh bien ! lui dit la Massé (elle s’appelait ainsi), maintenant, tremble. Tu ignores quelle est cette dame à la mule verte… Tu ne le sauras jamais.

— Quoi ! je ne pourrai la revoir ?

— Tu ne l’as pas vue.

— La retrouver ?…

— Prends garde d’essayer seulement de suivre sa trace. D’ailleurs elle ne portera plus de mules vertes, sois-en assuré. Tu ne la rencontreras plus à pied, comme hier soir. Oublie tout cela.

Et, pour appuyer ce conseil, elle lui remit une bourse pleine de pistoles que Nicolas jeta à terre avec indignation. Ce fut seulement quelque temps plus tard, dans quelques salons littéraires où il raconta cette aventure, qu’il entrevit là-dessous un mystère relatif à quelque grande dame ; mais à peine à cette époque osait-on appuyer sur de telles suppositions. On s’étonnera également aujourd’hui, d’après les allures des héros de romans modernes, qu’il n’eût pas fait l’impossible pour retrouver la dame inconnue ; mais un pauvre imprimeur presque sans ressource avait trop à risquer dans une telle recherche[1]. Son cœur, du reste, changeait facilement d’objet.

  1. Restif de la Bretone prétend dans un des récits qu’il a faits de