Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/169

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attraits passés de la mère. Pendant les quatre années suivantes, il ne songea même à cette enfant que quand il entendait sa mère la gronder ou la battre. Elle était cependant devenue à la fin une grande blonde de dix-huit ans, à la peau blanche et transparente ; elle avait dans la taille, dans les poses, dans la démarche, une nonchalance pleine de grâce, et dans le regard une mélancolie si touchante, que, rien qu’à la regarder, Nicolas se sentait souvent les larmes aux yeux. C’était un avertissement de son cœur, qu’il croyait mort, et qui n’était qu’endormi.

Depuis fort longtemps, Nicolas vivait seul, ne parlant à personne, travaillant le jour, et le soir errant à l’aventure le long des rues désertes. Ses amis étaient morts ou dispersés, et il était peu à peu tombé dans cet affaissement profond, dans cette indifférence complète qui suit ordinairement une jeunesse trop agitée. Enfin il était tranquille du moins dans son anéantissement, quand, un dimanche matin, une petite main blanche frappa doucement à la porte de sa chambre. Il ouvrit. C’était Sara.

— Je viens, dit-elle, monsieur Nicolas, vous prier de me prêter quelque livre dont vous ne vous serviez pas ; vous en avez beaucoup, et moi j’aime la lecture.

— Choisissez, mademoiselle, dit Nicolas ; ensuite vous êtes bien maîtresse de les lire tous les uns après les autres.

Sara paraissait si timide, elle avait si peur d’être importune, sa modestie, sa rougeur, son embarras, étaient si naturels, que Nicolas s’abandonna entièrement au charme. Elle resta peu, et, en sortant, elle présenta son front au baiser paternel de l’écrivain.

Toute la semaine, elle travaillait chez les demoiselles Amei, où sa mère l’avait placée pour apprendre à faire de la dentelle ; mais les dimanches elle ne quittait pas la