Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/277

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tion qui venait choisirait ses victimes dans la plus haute société d’alors, et dévorerait ensuite ceux-là mêmes qui l’auraient créée, nous allons rapporter un singulier passage qui se trouve dans le poème d’Ollivier, publié justement trente ans avant 93, et dans lequel on remarqua une préoccupation de têtes coupées qui peut bien passer, mais plus vaguement, pour une hallucination prophétique.


« Il y a environ quatre ans que nous fûmes attirés l’un et l’autre par des enchantements dans le palais de la fée Bagasse. Cette dangereuse sorcière, voyant avec chagrin le progrès des armes chrétiennes en Asie, voulut les arrêter en tendant des pièges aux chevaliers défenseurs de la foi. Elle construisit non loin d’ici un palais superbe. Nous mîmes malheureusement le pied sur les avenues : alors, entraînés par un charme, quand nous croyions ne l’être que par la beauté des lieux, nous parvînmes jusque dans un péristyle qui était à l’entrée du palais ; mais nous y étions à peine, que le marbre sur lequel nous marchions, solide en apparence, s’écarte et fond sous nos pas : une chute imprévue nous précipite sous le mouvement d’une roue armée de fers tranchants qui séparent en un clin d’œil toutes les parties de notre corps les unes des autres ; et ce qu’il y eut de plus étonnant, c’est que la mort ne suivit pas une aussi étrange dissolution.

» Entraînées par leur propre poids, les parties de notre corps tombèrent dans une fosse profonde, et s’y confondirent dans une multitude de membres entassés. Nos têtes roulèrent comme des boules. Ce mouvement extraordinaire ayant achevé d’étourdir le peu de raison qu’une aventure aussi surnaturelle m’avait laissée, je n’ouvris les yeux qu’au bout de quelque temps, et je vis que ma tête était rangée sur des gradins à côté et vis-à-vis de huit cents